Freudiana. NN.

Musical.

Theater an der Wien.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique, fin janvier 1991.

 

 

(Musik)

 

Alors, vous avez compris? Freud, Freud, vive Freud! Freud, le sauveur qui vous rend la joie de vivre, qui vous fait vaincre vos complexes, qui vous prend vos névroses, qui vous aide à trouver le succès, qui vous permet à mener vos affaires et qui vous rend capable à aborder la jeune fille que vous aimez tant sans avoir le courage de lui avouer vos sentiments.

 

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Le jeune Eric est le personnage principal dans ce nouveau musical qui se donne depuis les fêtes au Theater an der Wien. Eric est un jeune garçon complexé et solitaire, un introverti, qui se croit moche et qui par conséquence s'habille mal. Il ne fait pas attention à ses cheveux, il porte des lunettes qui l'enlaidissent, bref, il ne se soigne pas assez. Rien d'étonnant donc que les filles ne le trouvent pas intéressant. Eric a l'habitude des corbeilles, et ces corbeilles lui confirment qu'il ne vaut rien.

 

Voyons, direz-vous, qu'il cesse de se faire des complexes! Mais la chose n'est pas si facile. Il faudrait d'abord qu'Eric lui-même ait la volonté de changer quelque chose, et pour qu'il trouve cette volonté, il faut qu'il fasse une analyse de sa personnalité, une psychanalyse.

 

Mais comment faire subir une psychanalyse à cet Eric infortuné? Voici la solution du musical: Eric se mêle à un groupe de touristes qui visite le musée Freud à Londres. Alors que le groupe se fait expliquer les objets, Eric se perd dans une pièce avoisinante. Puisqu'il sonne six heures, l'heure de la fermeture du musée, le groupe est expédié en toute hâte, les portes se ferment, et Eric se voit enfermé et oublié. Il est forcé d'attendre le jour en s'installant sur le fameux canapé. Mais bientôt il s'endort et commence à rêver. Et ce début du songe est le moment le plus captivant du musical. Car le musée Freud avec ses images, ses tapis, ses livres et ses bibelots disparaît; et des profondeurs du théâtre surgissent des immenses statues antiques et préhistoriques - -

 

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- - qui commencent tout à coup à bouger à la façon d'un mort qui ouvre un œil. Une impression de cauchemar affreux vous saisit, et vous croyez reconnaître les fantasmes et les atrocités de l'inconscient. Mais peu à peu, des danseurs se détachent des statues et commencent à suivre une chorégraphie, mais hélas, une chorégraphie bien habituelle garnie d'une musique quelconque. C'est le moment de vous réveiller et de vous retrouver assis dans votre fauteuil d'orchestre, et vous comprenez qu'aucun des artistes, ni le librettiste, ni le compositeur, ni le metteur en scène n'a eu le génie de vraiment créer du neuf.

 

C'est à dire que Freudiana n'est rien de spécial. Le musical ne vous raconte pas l'analyse du jeune Eric. Il ne dévoile pas les mystères de l'inconscient. Il se contente de réaliser une revue musicale ave des numéros bien définis. Le numéro des statues antiques était un numéro de ballet. Suit un numéro de chant. Puis suit un numéro de chant et de danse. Mais ce sont toujours des numéros. Ce que vous voyez et ce que vous entendez est donc fort conventionnel. Freud et la psychanalyse ne servent que de prétexte pour créer un décor un peu inhabituel, mais dans ce décor, vous avez les danses et les mélodies les plus banales.

 

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Etc., etc. Face à cette banalité écrasante, il y a quand même une question qui se pose: Pourquoi le musical a-t-il tant de succès, vu qu'il ne vaut rien? C'est que le succès ne tient pas à la qualité artistique du musical. La critique était unanime: Freudiana ne vaut pas le détour. Mais la critique n'a rien à dire. Ceux qui décident si Freudiana vaut un détour ou pas ne sont pas les critiques; ni les spectateurs. Ce sont les agents de voyage. Si les agences de voyage décident de mettre Freudiana dans le programme, l'Europe entière ou presque sera condamné à voir ce musical, puisque Vienne attire le plus de touristes. Et tous ces touristes n'auront pas mot à dire, car le succès d'un musical ne se décide plus dans les salles de théâtre, mais dans les bureaux, où les agents de publicité font leur affaires avec les agents de voyage.

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