Der schwarze Hecht. Paul Burkhard.

Oper.

OGB Biel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 11 janvier 1989.

 

 

Le brochet est une sorte de Godot. On en reparle tout au cours de la soirée, sans qu'il n'y apparaisse. Il est prévu comme plat de résistance pour la fête du 60e anniversaire d'un père de famille qui a invité frères et sœurs. Mais les évènements empêchent la famille de se mettre à table, et quand enfin la cuisinière veut l'apporter, les invités sont partis, et le brochet, lui, n'est plus qu'un tas de charbon, c'est un brochet noir – "Der schwarze Hecht".

 

Qu'est-il arrivé pour empêcher la bonne famille zurichoise de se mettre à table? C'est qu'une dernière personne s'est présentée, une personne qu'aucun n'a invitée et qui, par son intrusion, a dérangé la fête paisible, comme la méchante fée dans le conte de la Belle au bois dormant.

 

Or, cette personne maudite est un monsieur charmant et plein de bonne volonté. C'est le frère cadet qui s'était enfui tout jeune au cirque parce qu'il craignait étouffer dans le cadre étroit de l'honnêteté zurichoise. Et voilà qu'il revient, saltimbanque, artiste, directeur d'un cirque. Il revient, la main tendue à la réconciliation:

 

(Musik)

 

Il est donc revenu, le frère perdu, l'artiste, le saltimbanque, mais la famille n'est toujours pas prête à l'accepter. Car son monde et ses idées larges mettent en danger le cadre étroit des petits bourgeois zurichois. Et ce danger est d'autant plus apparent que l'artiste emmène une épouse d'une beauté troublante qui éveille chez les hommes des désirs inconnus et chez les femmes une jalousie féroce.

 

(Musik)

 

C'est avec cette chanson que Paul Burkhard, compositeur suisse, décédé il y a dix ans, a gagné des millions. Dans la production de l'opéra de Bienne, vous entendiez la voix d'une débutante, qui, on s'en rend compte, n'a pas encore acquis la technique pour interpréter ces chansons. Malheureusement, ce manque de technique n'est pas compensé par un talent convainquant de comédienne. Iduna donc était le rôle le plus faible – mais l'un des plus intéressants aussi, car Iduna était interprétée par la chanteuse Sue Schell, qui, jadis, appartenait au trio de Peter, Sue and Marc. Sue Schell, n'ayant pu poursuivre sa carrière comme soliste a, par le rôle d'Iduna, essayé d'entrer dans le monde du théâtre lyrique, un début qui nous a illustré combien il est difficile de chanter sans microphones et sans amplificateurs. Car la cuisinière, artiste plutôt inconnue, avait la technique et l'expérience nécessaires au succès:

 

(Musik)

 

La cuisinière dans le brochet noir, "Der schwarze Hecht", représenté par l'opéra de Bienne. J'ai voulu savoir du directeur de l'opéra de Bienne, Edouard Benz, s'il peut présenter ce sujet suisse allemand au romands sans remords:

 

(Wort)

 

Edouard Benz, directeur de l'opéra de Bienne. Sa production du "Brochet noir", "Der schwarze Hecht", de Paul Burkhard, n'était, pour donner une appréciation finale, ni l'une des plus raffinées ni l'une des plus poétiques, ni l'une des plus méchantes. C'était une production sans prétentions, naïve, un peu pauvre, mais, en même temps, on sentait le dévouement, la bonne volonté, la chaleur qui récompensaient le manque de professionnalisme.

 

Ce brochet que Bienne nous a servi ne vient donc pas de Frédy Girardet. C'est un brochet qui sort de la cuisine de maman, et, au point de vue sentimental, c'est maman qui est la meilleure cuisinière. Et si vous voulez retrouver le temps perdu et savourer le théâtre innocent de votre jeunesse, vous le retrouverez sous la forme la plus pure et la plus honnête dans le petit théâtre minuscule de Bienne.

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