The Little Shop of Horrors.

Musical.

Theater Basel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 11 juin 1990.

 

 

Nous sommes arrivés à la fin de la saison; c'était la 20e que j'ai suivie comme critique. Mais malgré toutes les productions que j'ai vues (et il y en avait de fort médiocres) je ne me lasse pas du théâtre. Et si je ne me lasse pas du théâtre, cela tient au fait qu'on peut y étudier le mystère de la beauté et le mystère du succès.

 

Parlons d'abord de la beauté: C'est très facile d'aimer Mozart; plus on l'entend, plus on l'aime, parce que sa musique est à la fois simple et inépuisable. Le mystère de la beauté est donc un mystère qui tient à l'œuvre. Le mystère du succès cependant ne tient pas à l'œuvre; il est lié à l'époque, au goût des spectateurs. Ce ne sont pas des qualités inhérentes à l'œuvre qui expliquent le succès. Ce sont des qualités extérieures.

 

Si vous voulez étudier le mystère du succès, Bâle vous offre maintenant l'occasion. Car le théâtre présente un musical américain qui fait l'évènement de la saison: Le petit magasin des horreurs, "The Little Shop of Horrors".

 

(Musik)

 

Vous l'entendez, c'est une musique sympathique, mais bien artisanale. Elle ne dépasse en aucun de ses numéros la médiocrité, surtout dans la version de Bâle qui manque de swing et d'audace. Mais malgré ce manque apparent de génie, le public est enthousiasmé. Les jeunes gens qui étaient assis à côté de moi connaissaient les mélodies par cœur et en remuant les lèvres ils répétaient les lignes du texte.

 

Le musical est donc connu. Les gens savent à quoi s'attendre, et le succès est garanti, sous condition que le théâtre suive fidèlement la partition et montre ce que les gens attendent. J'appellerai ce phénomène volontiers le phénomène Mac Donalds. Les gens qui se rendent dans ces magasins de "fast food" veulent retrouver un certain Hamburger d'une certaine qualité; qualité qui ne varie pas entre New York et Tokyo, Moscou et Johannesburg. Et pour "The Little Shop of Horrors" comme pour tout autre musical, c'est la même chose. Le public demande une version authentique sans variations.

 

Alors le théâtre de Bâle, qui pour le reste du répertoire est si critique et si innovateur qu'il ne cesse de choquer le public conservateur et traditionaliste – ce même théâtre se soumet à la dictature de la convention lorsqu'il monte un musical, lorsqu'il travaille pour les jeunes.

 

(Musik)

 

Ce sont ces mélodies qui font actuellement l'évènement à Bâle. Elles enveloppent une histoire fort simple. Comme toujours, c'est une histoire d'amour, et comme toujours, les amants finissent par s'avoir. Les deux qui s'aiment sont deux employés d'un petit magasin de fleurs dans un quartier malfamé de New York. Les affaires ne marchent pas, aucun client ne se présente au cours de la journée. Mais tout change lorsque le jeune employé découvre une plante mystérieuse qui attire les clients dès qu'elle est mise dans la vitrine. Cette plante cependant ne se nourrit pas d'engrais, non, elle se nourrit de sang humain. Alors, le pauvre employé est obligé de s'ouvrir les veines pour nourrir sa plante. Mais cette plante est trop vorace pour se contenter des quelques gouttelettes du jeune homme. Alors il est forcé de se mettre à tuer. La plante dévore ses victimes et ne cesse de grandir. Pour finir, la plante a dévoré tout le personnel du magasin, et le jeune employé désespéré se jette dans sa gorge pour mettre fin à sa vie. Fin du spectacle et triomphe du principe satanique qui veut dévorer l'humanité. Ecoutez comme elle chante, cette plante:

 

(Musik)

 

Mais comment expliquer le succès de ce musical aux mélodies banales? Pourquoi cette histoire simple fait-elle un pareil tabac? Je suppose que le succès tient au fait que le musical, comme l'indique son titre, "Little Shop of Horrors", joue ave le sentiment de la frousse. Mais le danger mystérieux qui menace l'humanité n'est qu'une plante. Le symbole du danger est donc le symbole de quelque chose qui n'existe pas. Donc, au lieu de parler de bombe atomique ou de pollution, qui sont des dangers réels, le musical parle d'un danger fictif  et crée par cela l'illusion que notre frousse aussi est un sentiment qui manque de réalité. Il a donc la fonction d'apaiser nos craintes et de nous rendre insouciants.

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