Cardillac. Hindemith.

Roderick Brydon, François Rochaix, Jean-Claude Maret. Stadttheater Bern.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 20 avril 1988.

 

 

Enfin de bonnes nouvelles. Ce théâtre tant dénigré donne enfin des opéra qui fascinent et dont on parle. Nous avions récemment "Roméo et Juliette au village" du compositeur anglais Frederick Delius. Nous aurons bientôt "Werther" de Massenet. Et samedi, nous avions "Cardillac" de Paul Hindemith dans sa version originale de 1926. Et cette production vaut le déplacement. Trois raisons: 1. La qualité de l'œuvre. 2. La qualité de la mise en scène, signée François Rochaix. 3. La qualité de l'interprétation musicale, assurée par Roderick Brydon.

 

L'opéra se base sur une nouvelle d'E.T.A. Hoffmann: "La demoiselle de Scudéry". Paris 17e siècle. Assassinats. Milieu riches. Victimes en commun: Acheté des bijoux chez Cardillac, l'orfèvre-génie qui produit des bijoux d'une beauté sublime, des œuvres d'art qui dépassent l'imaginable. Et cet orfèvre devient assassin parce qu'il ne supporte pas que ses bijoux soient portés par n'importe qui.

 

Il y a derrière ce motif deux aspects: La force créatrice démoniaque, bien entendu, mais aussi l'aspect que l'œuvre d'art n'est pas un objet qui se vend, il est une chose qui appartient à l'humanité, et se place au-dehors du cycle économique.

 

De ce récit datant du romantisme allemand, Hindemith en 1926 a fait un opéra. C'est cette version qui se joue à Berne. Dans une seconde version, écrite en 1952, Cardillac se repentit avant de mourir. Cette version est plus grandiose et moins dure que la première qui se déroule sans entracte en 90 minutes.

 

La mise en scène de François Rochaix est une révélation pour Berne. Il apport une nouvelle esthétique dans ce théâtre de 1903, et il déployé une beauté âpre et sobre. Jusqu'à présent, le théâtre de Berne nous offrait une beauté conventionnelle, rose bonbon. Maintenant, on nous présente une beauté qui se soumet à l'œuvre. Et pour la première fois, nous avons des éclairages qui dépassent la routine. Les décors sont signés Jean-Claude Maret. Il crée un maximum d'effet et d'atmosphère avec un minimum de détails. Une place vide, une façade, un escalier, un quai suffisent pour nous donner l'essence de Paris.

 

François Rochaix y fait entrer des hommes du 20e siècle, car il place l'action au temps de sa création, 1926. Nous retrouvons donc les costumes et l'atmosphère des films policiers en noir et blanc. Je cite comme titres le "Quai des Brumes" et le "Quai des Orfèvres". Ces gens du 20e siècle ont des visages et des gestes quelconques qui font comprendre pourquoi Cardillac défend ses bijoux contre leur médiocrité.

 

La cour de Louis XIV cependant forme un contraste cruel à cette vie du quotidien. L'entrée du roi est une pantomime grotesque – et par cela une caricature de l'esthétisme (et du principe de Cardillac). À la cour, tout comportement social est devenu œuvre d'art. Nous comprenons que cet absolutisme esthétique est l'ennemi de la vie. Un art qui ne recherche que la beauté est mortel.

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