Im weissen Rössl. Ralph Benatzky.

Daniel Fueter, Herbert Wernicke. Theater Basel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 30 janvier 1990.

 

 

C’est une des opérettes les plus connues dans le monde allemand, et chaque numéro est un tube. En même temps, c’est une œuvre sans prétentions, elle ne veut ni changer le monde ni engendrer la réflexion des spectateurs – elle n’a qu’un seul but : amuser le public et le faire passer deux bonnes heures.

 

Or, les théâtres allemands ont aujourd’hui de la peine à justifier la production d’une œuvre qui ne sert à rien, ou du moins à rien de sérieux ; d’autant plus que les opérettes tant dénigrées coûtent cher. Elles exigent un chœur, un corps de ballet, des décorations luxueuses et des solistes qui savent danser, chanter, parler, jouer, qui ont donc un talent multiforme qui est devenu rare aujourd’hui.

 

Par manque de solistes, par manque de finances et par manque de raisons qui justifieraient la production, les opérettes sont de moins en moins données. On les remplace par le musical, comme cette année p.ex. par « Cabaret » à Bienne, ou on les remplace par l’opéra-comique comme « Fra Diavolo » que l’Opernhaus de Zurich vient de mettre à l’affiche, je vous en ai parlé la semaine passée.

 

Mais au même moment où la plupart des théâtres se détournent de l’opérette, le théâtre de Bâle la remet au programme. Mais non pas pour faire de la nostalgie, non pas pour satisfaire le goût des réactionnaires ; au contraire, l’opérette sert de base à une mise en scène des plus avancées et des plus hardies. Mais pourquoi un metteur en scène si doué et si intelligent comme Herbert Wernicke, cinéaste, journaliste, réalisateur à la télévision et décorateur s’engage-t-il à monter une opérette ?

 

Parce que l’opérette lui donne la chance de découvrir un nouveau monde. Vous savez que le répertoire des opéras joués depuis 1910 se limite à 40 chefs d’œuvre qui sont lus et relus incessamment. On les a mis à toutes les sauces, il n’y a plus rien à découvrir.

 

L’opérette par contre a toujours été négligée. Jamais les grands hommes de théâtre s’en sont occupés, tandis que les talents de cinquième et sixième rang qui s’y consacraient ne se sont jamais donnés la peine à décortiquer les œuvres et à faire ressortir le noyau vital de ces opérettes. C’est cela la raison pourquoi dans le genre de l’opérette, on peut faire des découvertes et pourquoi ce genre mérite l’attention des connaisseurs. Et avec sa production du « Cheval Blanc », le théâtre de Bâle n’a pas seulement sauvé l’opérette, il a aussi proposé un nouveau style pour le théâtre musical.

 

Le contenu est pour ainsi dire nul. Comme le titre l’indique, le personnage principal est un hôtel, l’hôtel du Cheval Blanc à St. Wolfgang en Autriche. Et dans chaque hôtel, deux mondes se rencontrent : le monde de ceux qui y travaillent et le monde de ceux qui s’y reposent. Voilà un premier contraste. Deuxième contraste : la diversité des hôtes que le hasard, la muse des librettistes, a mené au même lieu. Et puisque les hôtes sont en vacances, ils n’ont rien d’autre à faire que de suivre leurs passions ; et ces passions approchent les hommes célibataires aux femmes célibataires, et, miracle, à la fin de l’opérette, trois couples consentent au mariage.

Vous voyez, le contenu est nul. Et puisqu’il en est ainsi, les théâtres ont souvent changé les dialogues et essayé de cacher l’invraisemblance de la construction.

 

Cette invraisemblance, la mise en scène n’a pas essayé de la cacher. Elle a choisi un autre procédé, un procédé plutôt intellectuel pour nos scènes d’opéra, et je le nommerais volontiers le procédé de l’enfant curieux.

 

L’enfant curieux, vous le savez, ne se contente pas de jouer avec sa poupée. Il se lasse vite du jouet, et sa curiosité le pousse à le démonter pour voir ce qu’il y a dedans. Or, au-dedans de la poupée, il n’y a que de la paille, ou, si c’est une poupée en plastique, il n’y a rien du tout. Son ventre est vide.

 

Souvent les parents se fâchent et sont même choqués par la brutalité avec laquelle l’enfant se voue à son travail de destruction. Mais les adultes oublient que l’enfant ne fait rien d’autre que d’apprendre à connaître la construction des choses en les détruisant. Et l’enfant apprend à faire la différence entre les apparences extérieures des choses et leur vérité intérieure.

 

Et ce même procédé de l’enfant curieux, vous le trouvez sur la scène du théâtre de Bâle, quand Herbert Wernicke se prend au « Cheval Blanc » . Il détruit l’extérieur, casse la mécanique, dissèque les éléments pour voir ce qu’il y a dedans. Et contrairement à la poupée qui a le ventre vide, l’opérette, elle, a un noyau ferme que la mise en scène fait resurgir. Et ce noyau est un amalgame indissoluble de l’amour et du commerce. Là, où le commerce règne, comme dans l’hôtel du « Cheval Blanc » qui accueille des riches commerçants, l’amour fait part du négoce, sinon on ne peut pas se le permettre. Les hommes de l’opérette sont donc obligés à réconcilier leurs besoins affectifs avec les nécessités du business, et dans l’opérette, où ce compromis est faisable, nous comprenons aussi que ce compromis entre âme et business n’est qu’un mensonge d’opérette et qu’en réalité, âme et business ne se laissent pas réconcilier.

 

L’intention de mettre à nu le noyau même de l’œuvre en détruisant sa surface, cette intention du metteur en scène Herbert Wernicke a été reprise par le musicien Daniel Fueter qui lui aussi a disséqué la partition de Ralph Benatzky pour nous présenter rien que la squelette. Au lieu du grand orchestre, nous n’avons plus que quatre musiciens ; violon, contrebasse, piano et cithare. L’élégance et la volupté de la partition originale ont disparus. Et nous n’entendons que le noyeau de l’invention musicale. Impossible donc de se bercer dans la sentimentalité, impossible de se laisser réconcilier par la musique de l’âpreté du sort. Impossible de s’évader de la réalité en allant au théâtre.

 

Pour nous montrer que la nouvelle production du « Cheval Blanc » veut nous empêcher de fuir notre monde quotidien, la scène n’est rien d’autre que le prolongement de la salle de théâtre. Le théâtre ne nous présente pas une réalité fictive, il ne veut pas créer d’illusion. Nous sommes en face de nous-mêmes. Et l’opérette qui depuis ses tout premiers débuts était synonyme de mensonge et de superficialité, elle devient, dans la production de Herbert Wernicke, un miroir véridique de la condition des hommes du 20e siècle. D’avoir transformé le fond même de l’opérette en la faisant dire ce qu’elle voulait cacher, cela est un coup de génie, et c’est à Bâle qu’il s’est produit.

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