Der Zigeunerbaron. Johann Strauss.

Opérette.

Nikolaus Harnoncourt, Jean-Louis Martinoty, Hans Schawernoch. Opernhaus Zürich 1990.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique, fin novembre 1990.

 

 

(Musik)

 

A l'age de 61 ans, Nikolaus Harnoncourt s'attaque au "Baron Tzigane", et par cette musique, il revient au temps de son enfance. Quand il était petit garçon, Nikolaus entendait le père Harnoncourt jouer les airs de Strauss au piano. Plus tard, les enfants ont appris le violon, le violoncelle, et la famille se mettait à jouer ensemble, du Schubert, du Beethoven. Mais Strauss – Strauss restait le domaine du père Harnoncourt. Il le jouait seul, pour lui, et la famille l'écoutait. Il le jouait de la façon qu'il l'avait entendu, lui, au temps de sa jeunesse, avant la première guerre mondiale. C'est par ces souvenirs-là que Nikolaus Harnoncourt aujourd'hui se voit rattaché a un passé qui remonte jusqu'au temps de Strauss. Et pour lui, Harnoncourt, Johann Strauss a écrit la musique la plus pure qu'on puisse s'imaginer. Ses compositions sont comparables à la 40e symphonie de Mozart ou à la passion selon St. Matthieu de Bach. Nikolaus Harnoncourt en est persuadé.

 

(Wort)

 

Harnoncourt est sûr de la qualité de Strauss. Pour lui, c'est le compositeur le plus génial de sa génération. Certes, il y a eu des compositeurs plus zélés, il y a eu des compositeurs mieux instruits, mais aucun n'avait le feu génial, aucun n'a reçu le baiser de la muse comme lui, Strauss, et cette génialité innée le rend comparable à Schubert.

 

(Wort)

 

Tout ce que Strauss a écrit est devenu de l'or; qu'il s'agisse de valses, de polkas, d'opérettes, il en faisait des chefs d'œuvre, parce qu'il était incapable d'écrire quelque chose de médiocre.

 

(Wort)

(Musik)

 

La parenté entre Strauss et Schubert, telle que la prétend Nikolaus Harnoncourt, se manifeste dans le caractère de leur musique. Les deux compositeurs évoquent des émotions ambiguës, et par cette ambiguïté, ils représentent l'âme autrichienne. Schubert par exemple écrit une musique mélancolique et triste, mais dans quelque recoin caché on découvre un sourire.

(Wort)

Ce même sourire, nous le trouvons chez Strauss. Mais chez lui, les proportions ont changé: Sa musique enjouée cache la tristesse. Et par cette ambiguïté mi-figue, mi-raisin, Strauss est typiquement autrichien.

(Wort) (Musik)

"Le Baron Tzigane" de Johann Strauss sur un vieux disque noir avec Otto Ackermann. Nikolaus Harnoncourt maintenant vient de le sortir à l'opéra de Zurich dans sa version originale. Et puisque c'est la première fois que l'on l'entend, il s'agit d'une première création mondiale. Car jamais auparavant le "Baron" n'a été donné tel que Strauss l'a voulu. Les distorsions du "Baron Tzigane" sont d'autant plus lamentables qu'il s'agit de la seule opérette authentique de Strauss. Car normalement, Strauss n'écrivait pas de partition pour ses opérettes; il ne faisait que des esquisses que son ami et compagnon Richard Genée a transformées en partition complète, en rajoutant, en échangeant et en amplifiant les lignes que Strauss lui avait confiées. Puis Genée renvoyait la partition complète à Strauss qui y ajoutait les dernières corrections. Les opérettes comme "la Chauve-souris" par exemple sont donc le résultat d'un vrai team-work, nous explique Nikolaus Harnoncourt.

 

(Wort)

 

Contrairement à toutes les autres opérettes, "Le Baron Tzigane" est la seule opérette que Strauss ait écrit seul. Nous en sommes sûrs, car pour le premier et le deuxième acte, nous avons les notes authentiques telles qu'elles sont sorties de la plume de Strauss.

 

(Wort)

 

Mais déjà avant la première création, oui probablement même lors des premières répétitions, le "Baron Tzigane" a été mutilé. Mutilé pour des raisons politiques d'abord, car il avait des tendances pacifiques qui n'étaient pas du tout à la mode du jour. Harnoncourt cite l'exemple du jeune paysan qui ne veut pas devenir soldat et qui propose de se réconcilier au lieu de se battre. Cet air, bien entendu, a été supprimé bien avant la première création. Supprimée aussi toute une partie de le deuxième finale qui chez Strauss comptait quelque mille mesures et qui de nos jour n'en a plus que cinq cent.

 

(Wort)

 

Les partitions qu'on joue aujourd'hui ne sont donc aucunement authentiques. Sous le prétexte que Strauss ne savait pas faire une instrumentation convenable, toute une série de Kapellmeister ont mutilé la composition pour gagner des tantièmes.

 

(Wort)

 

Nikolaus Harnoncourt a biffé tous ces changements, il est retourné aux sources mêmes du "Baron Tzigane".

 

(Wort)

 

Comme point d'orientation, il a pris la partition originale et le livret. La version qu'il présente à Zurich est à cent pour cent authentique en ce qui concerne le 1er et le 2e acte. Pour le 3e acte, l'autographe manque. Difficile donc de dire ce que Strauss voulait.

 

(Wort)

 

Pour voir clair, il fallait comparer les diverses versions imprimées avec le livret original. Harnoncourt a trouvé quelques esquisses qui lui ont permis de faire une reconstruction du 3e acte telle que Strauss aurait pu l'approuver.

 

(Wort)

(Musik)

 

L'idée de Nikolaus Harnoncourt de retourner aux sources du "Baron Tzigane" n'a cependant pas trouvé une réalisation parfaite, et la presse suisse allemande en fait l'écho. Le "Tages-Anzeiger" constate que l'orchestre n'était ni très agile ni très précis. Il lui manquait la volupté, dit le "Tages-Anzeiger". C'est vrai, constate la "Basler Zeitung", Harnoncourt a fait maigrir un baron obèse. Mais écoutez son ouverture: il y a là des couleurs et des finesses qui vous rappellent Brahms, et au cours de l'ouverture, la "Neue Zürcher Zeitung" a même entendu les couleurs de la 1ère symphonie de Gustav Mahler. Bref, la critique constate que Strauss sonne autrement que d'habitude, que c'est de la musique qui vaut la peine d'être prise au sérieux. Malheureusement, les chanteurs n'étaient pas à la hauteur des ambitions. C'est un point faible de la production. Puis il y a l'énigme du metteur en scène. Sachez que l'ancien directeur du Palais Garnier, Jean-Louis Martinoty, était chargé de la mise en scène. On pouvait donc s'attendre à un travail intéressant. Mais au lieu d'une mise en scène proprement dite, les spectateurs étaient sont à un maigre communiqué affiché à l'entrée de l'opéra. Et on peut y lire (je cite): "Le metteur en scène Jean-Louis Martinoty et son décorateur Hans Schawernoch ont fait retirer leur nom de la liste des participants. A la fin de cinq semaines de répétitions, le résultat ne correspondait pas à leurs exigences." Fin du communiqué. Que reste-t-il- donc de cette mise en scène? Il reste des fragments, des compromis, des moments fort douteux, somme toute une réalisation qui n'est ni chair ni poisson. Elle était même si ennuyeuse que je me suis endormi. Et bien avant l'entracte, j'ai décidé de rentrer chez moi. Le lendemain, j'ai lu les compte rendus de mes confrères. Ils se sont ennuyés eux aussi. L'opéra a duré quelque trois heures, sans s'imposer, ni par sa réalisation musicale, ni par sa réalisation scénique. Je conseille donc au mélomanes romands de rester chez eux et d'attendre qu'Harnoncourt sorte sa version authentique du "Baron Tzigane" sur disque compact. Le résultat méritera certainement l'attention de tout mélomane, comme le prouve cette merveilleuse "Chauve-souris" qu'Harnoncourt a sorti à Amsterdam.

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